Captives à la française : entre opportunités et défis
Par Soumaya Zaouia, Souscriptrice ART & Captives chez MS Amlin Insurance
Parmi les 7 000 captives d’assurance et de réassurance dans le monde, environ 200 étaient issues de maisons mères françaises en 2023. 120 groupes français possèdent une captive de réassurance, avec plus de 80% basées à l’étranger. La loi de finances de juin 2023 pourrait marquer un tournant et faire de l’Hexagone un vrai domicile de captives, à l’instar du Luxembourg, de la Suisse ou encore de l’Irlande.
Entre réglementation et fiscalité, quelles sont les récentes évolutions législatives ? Quels sont les avantages à créer ou redomicilier sa captive en France ? Quelle stratégie vise-t-on ? Quel est le processus à suivre ?
Je vous partage quelques éléments de réponse avec l’éclairage de Fabien Graeff, Head of Risk Analytics chez WTW et Sylvain Guiheneuf, Senior Vice-President Group Risk Management & Insurance de Safran dont la nouvelle captive française vient d’obtenir un agrément d’entreprise de réassurance par l’ACPR le 24 octobre dernier.
La captive de réassurance doit s’inscrire dans une vision stratégique de gestion des risques
Une captive s’intègre dans la stratégie d’assurance d’une entreprise. C’est un projet sur mesure qui se base sur une vision globale de la gestion des risques, l’appétence de l’entreprise en matière de rétention et des conditions de marché. « La captive est le choix idéal dans une démarche optimisée de rétention des risques. C’est un partenariat gagnant entre l’entreprise et les assureurs / réassureurs », confirme Fabien Graeff.
La création d’une captive doit correspondre à une vision à long terme, car il s’agit bien d’un outil de gouvernance qui permet de sécuriser sa continuité d’activités.Pour des raisons d’activités multiples, un groupe a en effet besoin de provisionner ses risques. Sa masse critique lui permet donc de créer une captive pour y faire face, avec une gouvernance bien établie.
Il y a 40 ans, Safran créait sa captive au Luxembourg pour avoir une visibilité 360° sur la gestion de ses risques, notamment en Dommages et en Responsabilité Civile Aéronautique. « La nature même de nos activités a permis d’ancrer une culture du risque qui passe par la certification de nos produits destinés au transport de passagers, de la modélisation de données techniques et de calculs de profils de risques. La forte croissance du Groupe a renforcé la nécessité d’avoir une visibilité complète et une gestion proactive de son portefeuille de risques », commente Sylvain Guiheneuf. La captive de mutualisation et réassurance de nos risques est un outil clé du dispositif de financement des risques dans un monde en poly-crises », ajoute Sylvain.
La loi de finances de juin 2023 : une évolution législative incontournable dans la création et la redomiciliation d’une captive
Le décret du 7 juin 2023 de la loi de finances propose un terrain fiscal et réglementaire propice à la création ou à la redomiciliation de captives de réassurance en France. Il apporte des avantages qui n’existaient pas. Tout d’abord, il indique les modalités d’application du dispositif visant à permettre aux entreprises captives de réassurance établies en France de constituer des provisions pour résilience fiscalement déductibles (différé d’imposition). Il précise notamment les plafonds applicables (dix fois le montant moyen, sur les trois dernières années, du minimum de capital requis (MCR) tel que défini par le régime européen « Solvabilité II »). Et enfin, il fixe les règles de comptabilisation et de déclaration de ces provisions : les conditions prévues pour les provisions pour égalisation des entreprises d’assurance et de réassurance prévues à l’article 16 C de l’annexe II au CGI sont étendues aux provisions pour résilience.
Cette loi offre d’autres avantages : une neutralité fiscale en cas de redomiciliation notamment pour les plus-values des actifs, l’imposition des primes alignée sur le Luxembourg ou l’Irlande, la flexibilité sur le capital constitué (à partir de 1,3 millions d’euros), la simplification des exigences règlementaires (conformité et composition de comités de direction agréés), la facilitation des autorisations et suivis des captives avec les autorités de supervision (ACPR – Autorité de Contrôle Prudentiel de Résolution), et enfin la promotion des captives pour les risques émergents tels que les catastrophes naturelles et les risques cyber.
Autant d’éléments qui changent la donne et vont favoriser l’essor des créations et des redomiciliations de captives dans l’hexagone.
Pourquoi et comment redomicilier sa captive en France ?
Redomicilier sa captive en France offre de nombreux avantages : outre l’aspect fiscal et réglementaire, de nombreuses grandes entreprises françaises souhaitent relocaliser leur captive au plus près de leur siège social. En effet, une captive à l’international ajoute une complexité administrative et des ressources. Une entreprise qui opère à l’international doit adapter les processus de sa captive pour répondre à la fois aux exigences locales en France et aux réalités de ses activités globales.
« Avant d’entamer une redomiciliation en France, les entreprises doivent réaliser une étude de faisabilité approfondie, en prenant en compte les aspects fiscaux, juridiques et financiers de l’opération. Puis, elles doivent constituer un dossier d’agrément auprès de l’APCR afin d’effectuer une redomiciliation. » pointe Fabien Graeff. La captive doit se conformer aux exigences de Solvabilité II, qui incluent des obligations de capitalisation, de reporting et de gestion des risques. Un audit interne ou externe peut être nécessaire pour garantir que les processus en place respectent ces normes. Les structures de gouvernance doivent également être alignées avec les standards français, notamment en termes de conseil d’administration et de gestion des risques.
En 2020, Safran a décidé de redomicilier sa captive en France. Sylvain Guiheneuf explique que le cheminement fut long et souligne l’enjeu de la pédagogie interne : « Nous avons démontré notamment que l’avantage fiscal qui aurait été dégagé par notre captive sur dix années, comparé avec l’avantage technique et financier des enjeux opérationnels traités par ce dispositif, était négligeable »
Le processus auprès du régulateur peut prendre un certain temps, qu’il est préférable d’anticiper. « Redomicilier une captive en France nécessite une préparation et de nombreux échanges en amont avec les autorités de contrôle », conseille Sylvain Guiheneuf.
L’écosystème des captives dans notre hexagone est en train de se mettre en place et ressemblera probablement rapidement au Luxembourg, place financière majoritaire aujourd’hui. Depuis une année, la tendance est à la hausse. L’exercice 2023 a été marqué par la création de 5 nouvelles captives de réassurance, ce qui portait à 14 le nombre de captives de réassurance agréées en France. Ce chiffre est aujourd’hui à 20. La France va donc jouer un rôle central en Europe dans les décennies à venir.
Si l’intérêt est là, il reste encore beaucoup de pédagogie à faire auprès des entreprises. Le succès passe aussi et surtout par le développement d’un écosystème favorable pour accompagner cette transition. De nombreux acteurs ont un rôle à jouer : le régulateur, les organismes professionnels et sociétés de gestion, les courtiers et nous, les assureurs. MS Amlin sera bien entendu au rendez-vous.
Une liste d'articles
-
Publié le:
-
Publié le: